Non, la Cour de Cassation ne vient pas d’interdire les autocollants sur les plaques d’immatriculation

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Les réseaux sociaux s’enflamment depuis quelques jours, grâce au médias. On gaspille l’argent du contribuable pour, en plus, interdire quelque chose que tout le monde fait ! C’est une honte ! Prenons le temps de parler plus en profondeur de cette histoire d’autocollants.

Cela va sembler stupide, mais il faut qu’on se penche sur comment fonctionne la justice en France. Et bon sang, ayant eu des copains en droit quand je suis arrivé en fac, je m’étais juré de ne jamais parler de cette matière, je vous hais ! Mais d’un autre côté, cela m’a donné juste ce qu’il faut d’outils pour ne pas m’enflammer comme un litre d’essence en plein été. Bref, nous sommes partis pour démonter une mésinformation, comme nous l’avions fait pour les pneus semi-slicks à l’époque. En route pour un Pourquoi j’ai raison et vous avez tort, façon Les Flous du Volant.

De quoi parle-t-on ?

Bon, déjà, on va commencer par tirer notre chapeau pour la réactivité des médias. Le premier article qui en parle date du 11 janvier, pour un arrêt publié le… 16 décembre. De là à en déduire que c’était un article bouche-trou lié à une actualité en berne en ce début d’année, il n’y a qu’un pas, que je ne sauterai pas (même si l’envie est là, croyez-moi).

Cet arrêt vient annuler celui rendu par la Cour d’Appel de Paris en septembre 2018 (dont personne ne s’était ému, d’ailleurs). Mais de quoi est-il question exactement ? Eh bien, à proprement parler, même pas des autocollants !

Le fond de l’affaire est une histoire de sous, certes, puisqu’il est question de concurrence déloyale. Cependant, avant de taper sur l’entreprise qui avait porté plainte contre les fabricants d’autocollants, penchons-nous sur le rôle de la Cour de Cassation et de l’état de la loi, avant même ce dernier jugement. Vous allez voir qu’au final, c’est loin d’être aussi tranché qu’il n’y parait.

Le rôle de la Cour de Cassation

Déjà, on va couper dans le vif, la Cour de Cassation N’EST PAS un organisme POLITIQUE, m**** à la fin ! Même si on peut discuter de son étiolement, la Constitution française est fondée sur la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et la Cour de Cassation se rattache à ce dernier. Donc non, le gouvernement, ou nos dirigeants, n’ont rien à y faire.

Pour ce qui est de son rôle, on va reprendre, sans modification, ce qui est disponible sur le site de la Cour de Cassation :

La Cour de cassation ne constitue pas, après les tribunaux et les cours d’appel, un troisième degré de juridiction. Elle est appelée, pour l’essentiel, non à trancher le fond, mais à dire si, en fonction des faits qui ont été souverainement appréciés dans les décisions qui lui sont déférées, les règles de droit ont été correctement appliquées. C’est ce qui explique que la Cour de cassation se prononce non, à proprement parler, sur les litiges qui ont donné lieu aux décisions qui lui sont soumises, mais sur ces décisions elles-mêmes. Elle est en réalité le juge des décisions des juges : son rôle est de dire s’ils ont fait une exacte application de la loi au regard des données de fait, déterminées par eux seuls, de l’affaire qui leur était soumise et des questions qui leur étaient posées. Ainsi chaque recours a-t-il pour objet d’attaquer une décision de justice, à propos de laquelle la Cour de cassation doit dire, soit qu’il a été fait une bonne application des règles de droit, soit que l’application en était erronée.

Mais… ça voudrait donc dire que la Cour de Cassation n’a pas pouvoir à dire si les autocollants sont légaux ou non ? Bien vu l’artiste, c’est en effet le cas, elle ne sert qu’à évaluer la bonne application de la loi par les tribunaux et cours d’appel. Ce qui voudrait donc dire que la loi avait déjà défini si les autocollants étaient légaux ou non ? Tout juste.

Autocollants et Code de la Route

Donc, ces autocollants, depuis quand sont-ils interdits ? Désolé de vous le dire, mais… avant même la mise en place du SIV, qui date d’avril 2009, et donc l’apparition de cette petite bande, si chatouilleuse en ce moment.

L’arrêt de la Cour de Cassation fait un rappel au Code de la Route, plus précisément à l’article R317-8. Celui-ci précise à l’alinéa IV que :

Le ministre chargé des transports et le ministre de l’intérieur fixent par arrêté les caractéristiques et le mode de pose des plaques d’immatriculation.


Continuons nos recherches donc, trouvons l’arrêté fixant les caractéristiques d’une plaque d’immatriculation. Pas très compliqué, tant la Cour de Cassation que Légifrance nous donnent en référence l’arrêté du 9 février 2009.

L’article 9 parle de l’identifiant territorial en détail :

L’identifiant territorial doit être intégré dans sa globalité à la plaque d’immatriculation et être situé dans la partie utile de la plaque à l’extrémité droite de celle-ci, sur fond bleu non obligatoirement rétroréfléchissant. Lorsque le véhicule comporte deux plaques, l’identifiant territorial doit être identique sur la plaque avant et sur la plaque arrière.

Il doit être intégré à la plaque d’immatriculation. De ce fait, effectivement, un autocollant, excusez-moi l’expression, ça ne colle pas, justement. Mais si jamais, vous estimez qu’il reste encore l’ombre d’un doute, l’article 10 enfonce le clou :

Il est interdit de modifier les plaques d’immatriculation ou d’y rajouter un élément.

Bon, ben là… Je crois qu’il n’y a plus rien à ajouter. Encore que, si vous prêtez attention à votre plaque d’immatriculation, vous constaterez qu’il y a un numéro de série sur votre plaque en bas à droite, justement. Il s’agit en fait de la référence d’homologation de votre plaque d’immatriculation. Un autocollant qui la recouvre est potentiellement passible d’un refus au contrôle technique, puisqu’il n’est plus possible de certifier si elle est homologuée ou non.

Vous m’excuserez, mais… Echec et mat.

Mais cette histoire de gros sous ?

Oui, évidemment, c’est une histoire de finances qui a amené à la décision de la Cour de Cassation. Cependant, même si en tant que consommateur, ça m’irrite de devoir payer plus cher juste pour un élément aussi négligeable qu’un logo de région (encore que, dans l’absolu, je ne les ai personnellement jamais modifiés sur mes voitures), glissons-nous un instant dans la peau d’un fabricant de plaque d’immatriculation (qui ne sont pas forcément des gros entrepreneurs non plus, hein).

Vous vous cassez les noisettes à respecter la réglementation à la lettre, avec les couts de production et de vente que cela impose. Face à vous, un gusse muni d’une imprimante qui va bien, avec des planches à autocollants (c’est caricatural, j’en conviens, mais globalement, n’importe quel imprimeur peut allouer du temps, pour un cout de production ridiculement bas) décide se mettre à vendre un produit, non homologué, à un prix franchement plus bas, sur lequel vous ne pourrez jamais vous aligner. Vous voudriez protéger votre gagne pain, non ? Je vous le donne en mille, Emile, c’est exactement ce qui s’est passé. Et je me vois mal donner tort à l’entreprise qui a déposé plainte, même si mon portefeuille n’est pas d’accord.

Cela rentre, juridiquement, dans le cadre de la concurrence déloyale, et c’est de ça dont il était question dans le jugement, dès le début. La seule chose qui est arrivée entre 2018 et aujourd’hui, c’est que la Cour de Cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris, qui avait estimé que cela ne constituait pas un cas de concurrence déloyale.

Du coup, à ceux qui accusaient les vendeurs de plaque d’immatriculation de les prendre pour des pigeons, je demanderai ceci : qui vous a vraiment pris pour des pigeons dans cette affaire ? Celui qui vous vend un produit, certes cher mais legal, pour lequel vous hésiterez avant d’acheter, ou celui qui vaut trois fois rien, que vous avez acheté sans réfléchir, mais illégal ? La question elle est vite répondue, pour reprendre la formule consacrée.

En résumé, non, la Cour de Cassation ne vient pas de nous sortir un artifice de son chapeau. Les autocollants n’ont jamais été légaux sur nos plaques d’immatriculations hexagonales. Malheureusement, la décision risque d’amener quelques éléments zélés de la maréchaussée à verbaliser un sujet de plus. Il pourra vous en couter 135 euros d’amende, pour de simples autocollants. Est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? Au final, même si les plaques anglaises me filent la migraine, leur nudité évite ce genre de quiproquos.

Crédits Photo : Gilles ROLLE/REA, REA via l’Argus

Pierre

Tombé dans la marmite automobile dès le plus jeune âge, cela fait maintenant quelques années que j'essaie de partager mes expériences et connaissances sur internet. Les Flous du Volant me permettent d'aborder des sujets un peu plus transversaux que les sujets que je couvre auprès de certains confrères.

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